Susciter le désir de théâtre chez les jeunes
Entretien avec Philippe Guyard
Philippe Guyard dirige l'ANRAT, Association Nationale de Recherche et d'action Théâtrale. Il nous livre son point de vue sur les enjeux de renouvellement des publics et le rôle majeur des actions d'Education Artistique et Culturelle pour créer une relation durable avec les jeunes.
Trois jeunes Français sur quatre déclarent être allés au théâtre avec l’école. Comment conserver ce public à l'issue de cette expérience ?
P. G. Je ne crois pas à la théorie du choc esthétique : la rencontre d’un élève et d’un spectacle ne suffit pas pour que cet élève devienne un adulte passionné de théâtre. Comment générer le goût, l’envie, la joie de la pratique de spectateur ? Cela repose sur un processus, un parcours, pour créer de l’habitus afin qu’un jeune ne se dise pas : le théâtre, ce n’est pas pour moi. D’où l’importance de ce qui peut se pratiquer avant la sortie du système scolaire. C’est notre mission à l’ANRAT où nous œuvrons pour sensibiliser les enseignants à l’importance des pratiques artistiques et culturelles (EAC) : préparer la sortie au théâtre, aller voir des spectacles, rencontrer des artistes… Cette tâche n’est pas simple pour les enseignants qui s’engagent et il faut les former, les soutenir. Il ne faut pas penser que les choses soient acquises dans la durée : nous nous considérons comme des Sisyphe heureux ; il y a un renouvellement des générations chez les enseignants, et nous devons sans arrêt sensibiliser les nouvelles promotions, leur rappeler l’importance des pratiques.
“Lorsque l’on programme un spectacle, l’enjeu n’est pas uniquement le spectacle en lui-même mais d’initier de nouveaux publics, de créer la rencontre”
Philippe Guyard
Comment l’ANRAT peut-elle aider les théâtres privés, qui n’ont pas toujours de gros moyens, à investir le champ de l’éducation artistique et culturelle (EAC) ?
C’est un investissement réel pour les théâtres privés, mais il répond à un défi majeur : le renouvellement des publics. C’est très concret : comment je fais pour que les jeunes, qui vont constituer le public de demain, se sentent bien dans mon lieu. La première chose est de sensibiliser les théâtres à la démarche, comprendre qu’il ne suffit pas de vendre des billets pour créer la rencontre. Celle-ci peut passer par de nombreuses modalités. Par exemple, il existe de très beaux lieux dans les théâtres privés, avec une histoire. Accueillir les jeunes pour une visite, ce n’est pas très compliqué ni très chronophage. Le jeune découvre la richesse historique du lieu, comment il fonctionne, au-delà de l’apparat. Faciliter l’accès pour que le jeune se dise que c’est un endroit intéressant pour lui. On peut aussi sensibiliser les équipes artistiques qui passent dans les lieux, à l’enjeu du renouvellement de leur public, les convaincre d’accepter des temps de rencontres… Il est également intéressant de constituer des outils pour les enseignants qui vont voir tel ou tel spectacle.
Vous avez animé des séminaires avec des adhérents de l’ASTP. Quelles étaient leurs interrogations ?
C’est variable : les équipes ne sont pas toutes au même niveau d’appréhension de cette question. Certaines y sont déjà sensibles, pour d’autres, c’était un choc ! C’est parfois une révolution copernicienne : afficher telle pièce avec tel comédien, ça ne marche plus forcément systématiquement et surtout ça ne marchera plus à terme. Il faut accepter de s’inscrire dans un temps un peu plus long, même si ce n’est pas facile, intégrer que lorsque l’on programme un spectacle, l’enjeu n’est pas uniquement le spectacle en lui-même mais d’initier de nouveaux publics. C’est un discours qui a été bien reçu. Globalement, l’idée était de partir de la programmation et de se dire : qu’est-ce que je peux imaginer ?
Est-il prévu d’aller plus loin ?
Nous avons évoqué différentes pistes, comme, par exemple, organiser avec l’ASTP un temps d’échange pour réfléchir de façon collective à ces questions qui sont toutes liées. Nous pourrions accompagner les adhérents pour les acculturer davantage aux actions d’EAC et leur permettre d’acquérir les outils pour qu’ils proposent des actions envers les jeunes, selon leurs moyens, et les aider ainsi à renouveler leurs publics.
Qu'est-ce que l'ANRAT ?
Créée en 1983, l'Association Nationale de Recherche et d'action Théâtrale (ANRAT) rassemble des artistes et des enseignants engagés dans des actions de transmission du théâtre et des arts de la scène à l'École, de la maternelle à l’université. Elle affirme la puissance émancipatrice du théâtre et des arts de la scène et sa capacité transformatrice en milieu scolaire, défend l’absolue nécessité du partenariat entre artistes et enseignants, en lien avec la création.
L'ANRAT accompagne l'ASTP et ses adhérents dans la construction d'un programme d'Education Artistique et Culturelle, à travers des ateliers de formation et de sensibilisation. L'ASTP a adhéré à l'ANRAT en 2023.
Études
La question des publics
Qui sont les spectateurs de théâtre d’aujourd’hui et de demain ? Quelles actions mettre en place pour faire face aux enjeux de renouvellement des publics ?